Lega legalizacion

Le 12 mai dernier, le jeune activiste Azyz Amini ainsi que Sabri Ben Mlouka ont été arrêtés à la Goulette et placés en garde à vue pour consommation de cannabis. Ils risquent entre 1 et 5 ans de prison, et un minimum de 1000 dinars tunisien d’amende. Et je le répète, ils ont été arrêtés pour consommation et non pour deal. Cette arrestation a été le coup d’envoi d’une semaine de débats sur le décalage entre la loi 52 relative à la consommation de stupéfiants et la réalité des jeunes tunisiens, qui a mis en évidence un malaise dans la société et la politique tunisienne aujourd’hui.

Un joint en France c’est rien. Tout le monde s’en permet un occasionnellement, jeunes ou vieux, et si on se fait prendre on a des chances de s’en sortir avec comme seule sentence les gros yeux de l’agent. Bon je dis ça je peux me planter complètement, c’est pas comme si j’avais déjà été dans cette situation, mais en tout cas c’est l’atmosphère qui règne en France autour de la consommation.

Je ne parle pas complètement en connaissance de cause, je ne connais personne en Tunisie qui consomme du Cannabis (ou du moins pas ouvertement), mais je sais que cela se fait. Cela étant dit, si je m’en tiens aux pratiques festives que j’ai pu constater chez les jeunes tunisiens (et surtout tunisois), le décalage n’est pas si grand entre la France et la Tunisie. La consommation d’alcool et les lieux de consommation par exemple singent très fidèlement les bars et les boîtes que l’on peut trouver partout en France, et la bière s’y boit au même rythme. Et si cela se fait à moitié caché du reste du monde, parce que la pression sociale existe, cela se fait de manière 100 % légale. Sauf qu’en France, le pas entre un verre de bière et une bouffée d’un joint est principalement une histoire de préférences personnelles, en Tunisie on passe de « sans conséquences et accepté » à « si tu te fais prendre ta vie est ruinée ». Et il est facile de comprendre que lorsqu’ils parviennent à avoir une vie nocturne si similaire à la notre, le joint si réprimé dans la loi va trouver son chemin pour se consommer anodinement. Pour cette raison, et même si la gravité de la sentence va couper l’envie à la plupart des wannabe stonehead, la loi 52 est un cas de décalage entre la législation et la réalité.

En réaction à l’arrestation d’Azyz, la twittosphère s’est emballée et deux hashtags ont fait leur apparition : #FreeAzyz et #Loi52.

Le premier est plus personnel, centré autour de la personnalité d’Azyz Amami, blogueur emblématique des jeunes tunisiens qui ont fait la révolution par le web. Les personnalités tunisiennes se sont émues des déclarations du père du blogueur, selon qui les deux jeunes ont été battus par les policiers lors de leur arrestation. Difficile à prouver, puisqu’en Tunisie les avocats ne sont pas autorisés en garde à vue, laquelle peut durer jusqu’à 6 jours. Dans un pays où la police n’a pas encore redoré son blason depuis ses pratiques collaboratrices sous le régime dictatorial, et où les « ACAB » jonchent les murs de la capitale, il n’en fallait pas plus pour enflammer la twittosphère. Un site web est rapidement créé, freeazyz.tn.
Le hashtag #freeazyz joue la carte du symbole, Azyz le mec bien qui a participé à la révolution comme l’exemple de tous ces jeunes qui ne sont pas des délinquants et encore moins des criminels mais qui fument du shit, pour eux, parce qu’ils le veulent et que ça ne fait de mal intérieur, et que les autorités tunisiennes doivent admettre cela. Parmi les tweets #freeazyz, certains frôlent le complotisme, car Azyz était un blogueur politique, et il est loin d’être leur seul consommateur de Cannabis du pays. Les jeunes du parti Al Jouhmouri et le parti Afek Tounes ont souligné dans des communiqués les similitudes entre cette arrestation et les pratiques de l’ancien régime.
Ne me demandez pas où est Sabri Ben Mlouka dans tout cela, je n’en sais rien. Le hashtag #freesabri existe mais n’a pas le succès du premier.

C’est avec le hashtag #loi52 que le malaise s’amplifie. Celui-ci s’attaque directement au caractère désuet de la législation tunisienne en matière de consommation de Cannabis, et appelle à une modification de celle-ci. Cette revendication est moins consensuelle que la première, puisqu’il est délicat pour des personnalités politiques de défendre des consommateurs de drogue, et parmi les partis politiques personne ne va jusqu’à appeller à la dépénalisation. Sur internet, la pression est mise pour que l’ANC agisse vis-à-vis de cette loi. Le problème ici est que la modification d’une loi relative à la consommation de stupéfiants, ça ne relève pas du mandat pour lequel a été élu l’ANC, bien qu’elle se soit comportée en organe législatif pendant assez longtemps pour qu’on l’oublie. Un appel au changement de la loi a tout de même émané de certains députés, notamment du parti Al Massar en les personnes de Karima Souid et Nadia Chaâbane. Coïncidence ou non, les deux députées sont issues de la diaspora tunisienne en France. Elle appellent à une transformation de la loi vers plus d’indulgence, et à remplacer les peine de prison ferme et l’amende par du sursis et une assistance thérapeutique pour les consommateurs dépendants. Suite à ces voix qui se sont élevées de la société civile et des politiques, le chef du gouvernement Medhi Jomaâ s’est exprimé sur l’affaire d’une manière qui n’a pas plu à tout le monde, bien qu’appelant à être indulgent envers Azyz. Il faut dire que son argumentaire était de dire qu’Azyz était un jeune sympatique, un de ceux à qui la Tunisie doit la Révolution, et qu’il méritait que l’on soit clément avec lui. Donc sans de dire que la peine est démesurée pour l’acte, un chef du gouvernement en fonction admet qu’avec des types sympas comme Azyz on ne devrait pas être aussi dur pour aussi peu.

Heureusement, malgré la maldroitesse de ces propos, Jomâa a admis que la législation actuelle n’était plus en phase avec notre époque. Il faut espérer que cette déclaration sera suivie par des actes, puisque si la Tunisie veut que les choses bougent avant l’élection d’une nouvelle Assemblée des représentants du peuple – et on sera chanceux si ça arrive avant 2015 – il faut que la proposition émane du gouvernement.

Aujourd’hui Azyz Amami est encore en prison, et il comparaitra devant la justice le 23 mai. Mais l’affaire à enflamé les réseaux sociaux et à délié les langues sur une question pourtant tabou dans un pays comme la Tunisie où la religion est très influente et condamne la consommation de drogue.

Le cri pour qu’on arrête avec l’absurdité des condamnations si lourde pour la simple consommation, c’est l’appel à virer deux sales manies qu’on aimerait ne plus voir en Tunisie : la fermeture d’esprit et les abus policiers.

Pour plus d’informations :
Les article du Huffpost Maghreb sur l’affaire
Un article de Nawaat.org sur la législation relative au Cannabis et son application

Suzanne

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