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Caroline, David, Suzanne et Samuel. Quatre étudiants en science politique et en stage à Tunis, en pleine période de transition démocratique, qui auront peut-être des choses à dire.

Mais au fait, c’est qui “Nidaa Tounes”, le fameux parti “laïque” qui a vaincu Ennahda aux dernières élections tunisiennes ?

Les secondes élections libres en Tunisie depuis le soulèvement de la population tunisienne de 2011 et premières élections législatives pour élire l’Assemblée des Représentants du Peuple viennent de s’achever. Grâce aux organisations d’observation électorale de la société civile, un résultat provisoire a commencé à circuler sur internet et dans les médias. Et à l’encontre de ce que prédisaient un bon paquet de français qui ne connaissait de la situation politique tunisienne que la crainte des islamistes omniprésente dans les médias de l’hexagone, le parti islamiste Ennahda est arrivé deuxième. Et oui, c’était donc possible un pays touché par la le printemps arabe qui n’aboutisse pas soit sur une dictature militaire soit sur un gouvernement d’islamistes extrémistes religieux et conservateurs. Beaucoup d’entre vous ignoraient peut-être que c’était possible, voire vous ne saviez pas qu’il y avait d’autres partis politiques en Tunisie. Et là, il s’avère qu’il y en a un suffisamment important pour surpasser les islamistes d’Ennahda !
C’est à la suite de ce postulat de large ignorance de la part du la population française vis-à-vis de l’hypothétique vainqueur des élections législatives tunisiennes que je propose un petit article explicatif : MAIS QUI EST NIDAA TOUNES ?

Un leader : Béji Caïd Essebsi

Avant tout, Nidaa Tounes c’est Beiji Caid Essebsi (BCE pour les intimes (et l’ensemble des tunisiens)). Petit jeunot de 87 ans, qui fête par ailleurs son anniversaire deux jours après moi, Béji Caïd Essebsi n’est pas tout neuf dans la politique tunisienne. En effet, en 1965, il avait été ministre de l’Intérieur sous Habib Bourguiba (remplacé je le rappelle par Ben Ali en 1987). Disons les choses comme elles le sont, malgré son regain de popularité ces derniers temps en Tunisie, Bourguiba n’était pas un champion de la démocratie voire même plutôt un dictateur. BCE sera par ailleurs exclu provisoirement du parti de Bourguiba dont il aura critiqué certaines pratiques, après avoir été ministre de la Défense en 1969. Il sera ensuite député puis président de la chambre des députés sous Ben Ali, avant de quitter définitivement le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD, parti de Bourguiba puis Ben Ali) en 1991 et disparaître du paysage politique tunisien.

Mais tout ça ça commence à dater un peu, et n’explique pas la folle popularité du parti de BCE aux dernières élections. Il s’avère en fait que suite au soulèvement du peuple tunisien qui aboutit sur la fuite du dictateur Ben Ali (communément appelé la “révolution de jasmin” mais les tunisiens n’affectionnent pas cette appellation), la Tunisie dut passer par deux ou trois gouvernements provisoires avant d’obtenir l’approbation de la population et de la classe politique, c’est finalement un gouvernement avec à sa tête BCE, de retour de sa traversée du désert, qui obtint le consensus national. Et c’est donc avec BCE au poste de premier ministre que la Tunisie s’est organisée pour mettre en place les élections d’une Assemblée Nationale Constituante, qui permettrait d’offrir à la Tunisie une nouvelle constitution, afin que la Tunisie puisse repartir sur de nouvelles bases institutionnelles et législatives. Et là où Monsieur le premier Ministre BCE s’est fait bien voir, c’est qu’il a promis (et a agi pour) qu’aucun membre du gouvernement provisoire, et aucune personne qui oeuvrait à la mise en place d’une cadre législatif et institutionnel pour l’organisation des élections de l’ANC, ne se présenterait aux dites élections. Cette mesure était une manière de garantir que ces élections ne seraient pas organisées de manière politicienne, dans l’idée que si tu écris la loi et que tu participes aux élections derrière, il y a de fortes chances que tu sois influencé dans ta manière d’écrire la loi pour qu’elle favorise ton élection. Donc ça, non BCE l’a empêché, il n’était donc pas en lice pour les élections de 2011, et cette mesure lui a permis de gagner le respect de la population tunisienne.

Petit rappel rapide : les élections du 23 octobre 2011 ont permis l’élection d’une ANC où aucun parti n’avait la majorité absolue. Ennahda était tout de même loin devant avec environ 40% des sièges, et là où la situation est devenue problématique c’est quand il s’est avéré que parmi les 3 partis derrière Ennahda dans les résultats électoraux, deux avaient prévu de constituer une coalition avec le parti Islamiste. Cette coalition c’était la Troïka et elle jouissait d’une confortable majorité absolue à l’ANC. Et puisque Ennahda était majoritaire dans cette coalition, et bien dans les faits c’est surtout Ennahda qui décidait de ce qui s’y passait et par extension de ce qui se passait dans l’ANC. Et c’est comme ça que les Islamistes sont parvenus à monopoliser le pouvoir en Tunisie depuis les élections de 2011 (jusqu’à la formation d’un gouvernement de technocrates après le vote de la constitution en janvier 2014).

Et c’est là que BCE re-rentre en jeu. Parce que selon lui (et d’autres), la raison pour laquelle les choses ont fait qu’Ennahda s’est retrouvé en mesure de dominer ainsi l’ANC, c’est l’éparpillement de la jeune scène politique tunisienne, autrement dit le fait que le champ politique tunisien soit constitué d’une infinité de petits partis pas unis, et idem dans l’ANC. Je vous passe les explications relatives au mode de scrutin “proportionnel au plus fort reste” (sauf si ça vous intéresse, n’hésitez pas à me dire) mais en gros le problème de l’ANC tunisienne à ce moment-là serait la chose suivante : l’absence d’une opposition unie contre Ennahda. Et BCE, par une initiative lancée en juin 2012, se propose d’être à l’initiative de ce parti d’opposition. Ce parti verra le jour le 6 juillet 2012 et il le nommera Nidaa Tounes, pour “Appel de la Tunisie”.

Nidaa Tounes donc c’est avant tout un parti de rassemblement, rassemblement de tous les petits partis qui sont opposés à Ennahda mais qui n’ont pas eu suffisamment d’assise locale pour se faire élire et qui n’ont pas suffisamment de poids à l’ANC pour faire contrepoids face à la Troïka. L’initiative de BCE fait du bruit, séduit, apparaît comme une lueur d’espoir pour les tunisiens déçus d’Ennahda. Ce succès s’explique aussi parce que, malgré les “le parti laïque nidaa tounes” martelé par les médias français, BCE n’hésite pas à instrumentaliser la religion pour charmer son électorat : dans la tradition directe de Bourguiba, il est un excellent orateur qui n’hésite pas à inclure des versets du coran pour appuyer ses propos, touchant ainsi les plus pieux parmi la population tunisienne.

Rassembler tout le monde, même Ennahda et les anciens collègues de Ben Ali ?

Pour les raisons énoncées précédemment, le nouveau parti de BCE plaît, et apparaît très vite comme la meilleure alternative face à la troïka dominée par les islamistes. En tout, il s’est passé 3 ans entre les élections de l’ANC et les élections législatives de dimanche dernier, et ce fut amplement suffisant pour que le champ politique tunisien connaisse de nombreuses recompositions, reconversions, nouvelles coalitions et rassemblements. Ainsi, certains députés de l’ANC joignirent Nidaa qui n’existait pas lorsqu’ils s’étaient présentés, puis le quittèrent, puis d’autres le rejoignirent, etc. L’idée ici est que Nidaa Tounes est un parti de rassemblement au sens large, tellement large qu’un peu tout le monde peut y être la révolution. Et il y a au moins deux autres problématiques qui découlent de ce principe de “parti de rassemblement” :

1. BCE a déclaré de vive voix qu’il n’envisageait pas gouverner la Tunisie dans un parti de rassemblement qui n’inclurait pas Ennahda, car ce ne serait pas un réel rassemblement de toutes les voix qui existent en Tunisie. La Tunisie n’est pas à l’abri d’un scénario type 2011, où une “coalition surprise” avec un arrière-goût de trahison s’était déclarée au lendemain de l’annonce des résultats. Le scénario est peut probable, mais il reste vrai que BCE ne souhaite pas exclure Ennahda. Cela peut être justifié par sa vision des choses selon laquelle dans une période transitoire telle que celle que la Tunisie vit en ce moment, il est nécessaire d’agir tous ensemble dans une atmosphère de coalition et de consensus afin de reconstruire un pays à l’image de tous les tunisiens. Mais cela peut aussi apparaître très paradoxal quand on sait que Nidaa a fait campagne sur le principe de vote utile contre (l’hégémonie d’) Ennahda.

2. La question de l’inclusion des anciens membres du parti de Ben Ali.
Une des positions principales de Nidaa Tounes lors du débat autour de la création de la nouvelle loi électorale, c’était l’idée qu’il ne fallait pas exclure les anciens membres du RCD. Pour faire vite, le RCD était l’ancien parti de Ben Ali, dont beaucoup de membres se sont rendus responsables de beaucoup de mauvaises choses qui arrivent dans les dictatures, puis lorsqu’on essaie de mater une révolution qui s’élève contre une dictature. Le problème est que les procès qui auraient dû avoir eu lieu pour punir les responsables de la dictature n’ont pas encore eu lieu. Du coup en 2011 comme mesure provisoire pour une période exceptionnelle, la loi électorale excluait les anciens membres du RCD des candidatures aux élections. Trois ans plus tard, ces procès n’ont toujours pas eu lieu, et le débat a fait rage pour savoir s’il fallait à nouveau faire appel à une situation exceptionnelle et exclure les anciens RCD, ou bien si cela aurait constitué une grave atteinte à la démocratie. Et là-dessus, personne n’était aussi clair que Nidaa Tounes : il faut gouverner tous ensemble, il faut rassembler tous les courants, toutes les voix qui ont fait la Tunisie, et les anciens RCD en font partie. Et pour cause, les anciens RCD en question, il y en a pas mal qui ont rejoint les rangs de Nidaa Tounes. C’est d’ailleurs pour cette raison que Nidaa a écopé la réputation pas vraiment fausse de parti largement constitué d’anciens membres de l’ancien régime. Alors personnellement, je suis convaincue que BCE et Nidaa Tounes n’ont pas la moindre intention de remettre en place le RCD et de reproduire les rouages de l’ancien parti politique bénaliste dans la Tunisie actuelle. Mais il faut reconnaître que cette participation massive des anciens RCDistes à Nidaa Tounes est très rédhibitoire, et laisse un amer sentiment d’impunité des responsables des crimes de la dictature et de la révolution.

Plus les élections approchent, plus Nidaa monte dans les sondages, apparaissant très vite à égalité avec Ennahda, et dépassant même le parti islamiste aux alentours du mois de mai. À eux deux ils trustent plus de 80% des intentions de vote (hors votes blancs et abstentions). On voit nettement se dessiner le spectre du bi-partisme, et c’est ici qu’il devient très tentant de faire l’opposition “religieux/laïques”, alors que selon moi ça serait plus tôt “Très Religieux Et Sous L’Influence Des Frères Musulmans/ Fourre-Tout Mais Globalement Contre L’Application De La Charia”. Mais ça n’est qu’une interprétation personnelle.

Nidaa Tounes, même pas trois ans et déjà en tête des élections. Comment ?

Aujourd’hui, deux jours après le scrutin, l’ensemble des observateurs électoraux qui étaient présents dans les bureaux de vote lors du dépouillement affirment que Nidaa Tounes aurait remporté les élection. Comme en 2011, aucun parti n’a obtenu la majorité absolue – loin de là – mais Nidaa serait le parti qui a le plus de sièges (environ 10 sièges d’avance sur Ennahda, sur 217 à l’Assemblée des Représentants du Peuple). Pourquoi est-ce que Nidaa a remporté les élections ? Cela s’explique dans un premier temps par les qualités d’orateur et le charisme de BCE, son parti politique bénéficiant de sa popularité. Mais ensuite et surtout, tout comme le parti s’était créé en réaction à l’hégémonie d’Ennahda sur le pouvoir, les votes pour Nidaa Tounes étaient avant tout des votes contre Ennahda. Ce qui fut très caractéristique de ce phénomène est l’appel par BCE et d’autres de Nidaa à “voter utile”. Eh oui, comme en France. C’est un peu triste, c’est la deuxième élection libre du pays et on est déjà dans une perspective de vote utile, aux dépens de formations politiques moins importantes mais tout de même influentes, à la ligne politique plus claire (et plus à gauche, souvent). Et donc Nidaa a fait ce pour quoi Nidaa avait été créé : il s’est opposé à Ennahda. Et sa campagne a plus porté sur la nécessité de contenir Ennahda que sur l’existence d’un programme politique commun au parti.

Il faut ajouter à cela que plusieurs facteurs qui avaient fait le succès d’Ennahda en 2011 n’étaient plus présents cette année : à l’époque, une immense portion de la population tunisienne (j’ai plus le chiffre mais c’était vraiment beaucoup) déclarait ne pas connaître d’autre parti qu’Ennahda. Ce qui forcément leur donnait un gros avantage sur les autres formations. Ensuite, la fameuse idée selon laquelle “il faut voter contre Ennahda car ce sont des hommes qui ont peur de dieu” qui régnait à l’époque, qui fut remise en question par l’éclosion de quelques affaires de corruption et de détournement de fond publics par le parti au pouvoir. Et enfin, l’ANC avait été élue pour un an, mais la pratique que fit la Troïka du pouvoir fit que ses travaux s’étendirent sur deux ans de plus que prévu, durant lesquels la situation économique des tunisiens ne s’est pas améliorée. Le parti Ennahda s’est montré plutôt mauvais à l’épreuve du pouvoir, sans parler de ses tentatives de remettre en question les acquis les plus basiques de la société tunisienne tel que l’égalité de droit entre les hommes et les femmes. Ennahda a donc perdu en popularité par rapport à 2011 (d’ailleurs ils se dit que beaucoup d’abstentionnistes sont des électeurs d’Ennahda déçus par la pratique que le parti islamiste a fait du pouvoir), ce qui a bénéficié à la formation d’opposition la plus consensuelle : Nidaa Tounes.

Et donc, Nidaa Tounes c’est…?

En fait en conclusion, Nidaa Tounes on n’est pas trop sûr de ce que c’est. C’est le parti de BCE, et les tunisiens aiment bien le vieux BCE, là-dessus il n’y a pas de doute. À l’ANC les députés avaient tendance à rejoindre et quitter le parti comme ils changeaient de chemise, et concernant la période que j’ai observée de près, c’est-à-dire le débat autour de la loi électorale, la seule position claire et uniforme du parti concernait la non-exclusion des anciens membres du RCD des candidatures.

Nidaa Tounes est ambigu. Nidaa est pour les préservations des acquis de la femme mais BCE a déclaré d’une de ses opposantes qu’elle “n’est qu’une femme”. Nidaa Tounes est dirigé par un homme certes compétent et charismatique, mais ayant participé à l’ancien régime et ayant presque 88 ans. Nidaa Tounes se dit laïque mais son leader mobilise à foison des versets du Coran pour donner plus d’impact à ses discours. Et surtout : Nidaa Tounes s’est présenté comme le parti d’opposition face à Ennahda, mais le doute persiste quand à une éventuelle coalition entre Nidaa et Ennahda dans la future Assemblée des Représentants du Peuple.

Je suis heureuse pour la Tunisie, qui prouve une fois de plus que l’issue du printemps arabe n’était pas toute tracée vers la dictature ou l’extrémisme pour les pays ayant participé. Je suis également curieuse de ce que l’arrivée de Nidaa Tounes à l’Assemblée des représentants du peuple va changer. Mais je ne peux qu’espérer une Tunisie plus progressiste, ouverte, exempte de corruption et de terrorisme, et où la situation précaire des plus démunis est mise en tête des priorités du pays.

Sources :

Les résultats des élections selon l’association Mourakiboun

Sur les anciens membres du RCD au sein de Nidaa Tounes

Sur la déclaration misogyne de BCE

Sur les scandales de corruption d’Ennahda

Sur une coalition entre Nidaa Tounes et Ennahda

Suzanne

Merci À @tomsias pour la relecture orthographique

Lega legalizacion

Le 12 mai dernier, le jeune activiste Azyz Amini ainsi que Sabri Ben Mlouka ont été arrêtés à la Goulette et placés en garde à vue pour consommation de cannabis. Ils risquent entre 1 et 5 ans de prison, et un minimum de 1000 dinars tunisien d’amende. Et je le répète, ils ont été arrêtés pour consommation et non pour deal. Cette arrestation a été le coup d’envoi d’une semaine de débats sur le décalage entre la loi 52 relative à la consommation de stupéfiants et la réalité des jeunes tunisiens, qui a mis en évidence un malaise dans la société et la politique tunisienne aujourd’hui.

Un joint en France c’est rien. Tout le monde s’en permet un occasionnellement, jeunes ou vieux, et si on se fait prendre on a des chances de s’en sortir avec comme seule sentence les gros yeux de l’agent. Bon je dis ça je peux me planter complètement, c’est pas comme si j’avais déjà été dans cette situation, mais en tout cas c’est l’atmosphère qui règne en France autour de la consommation.

Je ne parle pas complètement en connaissance de cause, je ne connais personne en Tunisie qui consomme du Cannabis (ou du moins pas ouvertement), mais je sais que cela se fait. Cela étant dit, si je m’en tiens aux pratiques festives que j’ai pu constater chez les jeunes tunisiens (et surtout tunisois), le décalage n’est pas si grand entre la France et la Tunisie. La consommation d’alcool et les lieux de consommation par exemple singent très fidèlement les bars et les boîtes que l’on peut trouver partout en France, et la bière s’y boit au même rythme. Et si cela se fait à moitié caché du reste du monde, parce que la pression sociale existe, cela se fait de manière 100 % légale. Sauf qu’en France, le pas entre un verre de bière et une bouffée d’un joint est principalement une histoire de préférences personnelles, en Tunisie on passe de « sans conséquences et accepté » à « si tu te fais prendre ta vie est ruinée ». Et il est facile de comprendre que lorsqu’ils parviennent à avoir une vie nocturne si similaire à la notre, le joint si réprimé dans la loi va trouver son chemin pour se consommer anodinement. Pour cette raison, et même si la gravité de la sentence va couper l’envie à la plupart des wannabe stonehead, la loi 52 est un cas de décalage entre la législation et la réalité.

En réaction à l’arrestation d’Azyz, la twittosphère s’est emballée et deux hashtags ont fait leur apparition : #FreeAzyz et #Loi52.

Le premier est plus personnel, centré autour de la personnalité d’Azyz Amami, blogueur emblématique des jeunes tunisiens qui ont fait la révolution par le web. Les personnalités tunisiennes se sont émues des déclarations du père du blogueur, selon qui les deux jeunes ont été battus par les policiers lors de leur arrestation. Difficile à prouver, puisqu’en Tunisie les avocats ne sont pas autorisés en garde à vue, laquelle peut durer jusqu’à 6 jours. Dans un pays où la police n’a pas encore redoré son blason depuis ses pratiques collaboratrices sous le régime dictatorial, et où les « ACAB » jonchent les murs de la capitale, il n’en fallait pas plus pour enflammer la twittosphère. Un site web est rapidement créé, freeazyz.tn.
Le hashtag #freeazyz joue la carte du symbole, Azyz le mec bien qui a participé à la révolution comme l’exemple de tous ces jeunes qui ne sont pas des délinquants et encore moins des criminels mais qui fument du shit, pour eux, parce qu’ils le veulent et que ça ne fait de mal intérieur, et que les autorités tunisiennes doivent admettre cela. Parmi les tweets #freeazyz, certains frôlent le complotisme, car Azyz était un blogueur politique, et il est loin d’être leur seul consommateur de Cannabis du pays. Les jeunes du parti Al Jouhmouri et le parti Afek Tounes ont souligné dans des communiqués les similitudes entre cette arrestation et les pratiques de l’ancien régime.
Ne me demandez pas où est Sabri Ben Mlouka dans tout cela, je n’en sais rien. Le hashtag #freesabri existe mais n’a pas le succès du premier.

C’est avec le hashtag #loi52 que le malaise s’amplifie. Celui-ci s’attaque directement au caractère désuet de la législation tunisienne en matière de consommation de Cannabis, et appelle à une modification de celle-ci. Cette revendication est moins consensuelle que la première, puisqu’il est délicat pour des personnalités politiques de défendre des consommateurs de drogue, et parmi les partis politiques personne ne va jusqu’à appeller à la dépénalisation. Sur internet, la pression est mise pour que l’ANC agisse vis-à-vis de cette loi. Le problème ici est que la modification d’une loi relative à la consommation de stupéfiants, ça ne relève pas du mandat pour lequel a été élu l’ANC, bien qu’elle se soit comportée en organe législatif pendant assez longtemps pour qu’on l’oublie. Un appel au changement de la loi a tout de même émané de certains députés, notamment du parti Al Massar en les personnes de Karima Souid et Nadia Chaâbane. Coïncidence ou non, les deux députées sont issues de la diaspora tunisienne en France. Elle appellent à une transformation de la loi vers plus d’indulgence, et à remplacer les peine de prison ferme et l’amende par du sursis et une assistance thérapeutique pour les consommateurs dépendants. Suite à ces voix qui se sont élevées de la société civile et des politiques, le chef du gouvernement Medhi Jomaâ s’est exprimé sur l’affaire d’une manière qui n’a pas plu à tout le monde, bien qu’appelant à être indulgent envers Azyz. Il faut dire que son argumentaire était de dire qu’Azyz était un jeune sympatique, un de ceux à qui la Tunisie doit la Révolution, et qu’il méritait que l’on soit clément avec lui. Donc sans de dire que la peine est démesurée pour l’acte, un chef du gouvernement en fonction admet qu’avec des types sympas comme Azyz on ne devrait pas être aussi dur pour aussi peu.

Heureusement, malgré la maldroitesse de ces propos, Jomâa a admis que la législation actuelle n’était plus en phase avec notre époque. Il faut espérer que cette déclaration sera suivie par des actes, puisque si la Tunisie veut que les choses bougent avant l’élection d’une nouvelle Assemblée des représentants du peuple – et on sera chanceux si ça arrive avant 2015 – il faut que la proposition émane du gouvernement.

Aujourd’hui Azyz Amami est encore en prison, et il comparaitra devant la justice le 23 mai. Mais l’affaire à enflamé les réseaux sociaux et à délié les langues sur une question pourtant tabou dans un pays comme la Tunisie où la religion est très influente et condamne la consommation de drogue.

Le cri pour qu’on arrête avec l’absurdité des condamnations si lourde pour la simple consommation, c’est l’appel à virer deux sales manies qu’on aimerait ne plus voir en Tunisie : la fermeture d’esprit et les abus policiers.

Pour plus d’informations :
Les article du Huffpost Maghreb sur l’affaire
Un article de Nawaat.org sur la législation relative au Cannabis et son application

Suzanne

La lutte pour l’égalité, la parité et la défense des acquis

Hier, c’est-à-dire le mercredi 23 avril 2014 à 11h, des associations de la société civile tunisienne pour la défense des droits de l’Homme et de l’égalité entre hommes et femmes se sont rassemblées place du Bardo, devant le palais du Bardo où siège l’Assemblée Nationale Constituante.
Leur but était de faire pression sur les députés qui sont ces jours-ci en train de voter article par article la loi électorale en vue de l’organisation d’élections législatives d’ici la fin de l’année. Cette pression concerne plus précisément l’article 23 de la nouvelle loi, relative à la parité et aux quotas de femmes. Il ne s’agit pas d’un article ordinaire, puisque si l’ANC a voté pour l’instant quasiment tous les articles du 1 au 92, l’article 23 bénéficie d’un régime particulier et son vote ainsi que celui de ses amendements a été remis à plus tard.

L’article 46 de la constitution votée en janvier 2014 prévoit que l’État s’engage à mettre en place la parité entre hommes et femmes au sein des conseils d’élus. Si la loi électorale de 2011 consacre la parité dans les listes de candidats (parité dite verticale) avec alternance homme/femme, cela est loin de garantir une parité au sein de l’Assemblée, puisque sans trop de surprise les hommes seront quasi systématiquement préférés aux femmes en tant que tête de liste. Ainsi, il n’est pas si étonnant que ça de constater qu’Ennahda est le seul parti dont presque la moitié des députés sont des femmes (42 sur 89), puisque c’est le seul partir ayant obtenu au moins deux sièges dans la quasi-totalité des circonscriptions. Toutes ces femmes ne sont autres que les secondes de ces listes dont toutes les têtes étaient des hommes. À l’échelle de la Tunisie, seules 7% des têtes de liste étaient des femmes.

Repassons maintenant à la loi électorale de 2014. L’article 23 dans sa version initiale prévoit une fois encore la parité verticale avec alternance, mais, innovation qui répond probablement à l’exigence constitutionnelle, il impose également qu’au moins un tiers des têtes de listes affiliées à un même parti politique soient des femmes (quotas dits horizontaux).

Les associations de la société civile qui se sont rassemblées devant l’ANC hier ont élevé la voix sur deux sujets. D’une part, elles réclamaient l’assurance que les députés ne reviendraient pas sur la parité telle qu’elle est déjà acquise, malgré les réserves connues d’Ennahda sur ce principe qui tend à donner à la femme une place aussi importante que l’homme dans la vie politique du pays. D’autre part, elles réclamaient d’aller plus loin que ce que la version actuelle de l’article impose, affirmant que l’heure des compromis est finie, et que la femme tunisienne d’aujourd’hui a le droit d’être en tête de liste autant que l’homme tunisien : elles réclament la parité horizontale totale.

Dans une société très religieuse où “femme” est systématiquement associé à “famille” et “enfant”, l’égalité entre homme et femme est quelque chose rarement pris au sérieux. Ainsi, les mots d’ordre de cette société civile, “égalité et parité” (qui est également le nom d’une des associations qui a appelé au rassemblement) sont des revendications loin d’être consensuelles. Dans une ANC encore dominée par Ennahda on peut certes espérer que la parité verticale et le quota horizontal d’un tiers soient conservés, mais on peut légitimement douter qu’un amendement proposant la parité horizontale ait du succès. Cependant, la démarche de ces femmes et de ces hommes militants des droits des femmes, c’est aussi réclamer plus pour s’assurer qu’il soit bien compris que ce qui existe déjà, il n’est pas même envisageable de la remettre en question.

Égalité et parité, revendication de la société civile et nom d'une des associations présentes

Égalité et parité, revendication de la société civile et nom d’une des associations présentes

Deuxième mot d'ordre, "pas de recul" : les acquis sont des acquis.

Deuxième mot d’ordre, “pas de recul” : les acquis sont des acquis.

Ce groupe d'individus qui présente un décalage vestimentaire par rapport au reste de la foule s'avérera ensuite être es contre manifestants, venus profiter du rassemblement pour manifester contre le traitement des martyrs de la révolution par le gouvernement actuel.

Ce groupe d’individus qui présentent un décalage vestimentaire par rapport au reste de la foule s’avérera par la suite être des contre manifestants, venus profiter du rassemblement pour manifester contre le traitement des martyrs de la révolution par le gouvernement actuel.


Micromilitantisme

Micromilitantisme






À la fin de la manifestation, ce groupe a délogé de façon agressive les militants féministes, pour brandir des photos de martyrs de la révolution et clamer leur rejet du parti Nida Tounes qui appelle au rassemblement, y compris avec les anciens partisans de Ben Ali. Selon certains membre de la société civile de notre rassemblement, ces personnes seraient payées par Ennahda pour disperser le rassemblement féministe. Je n'ai vérifié aucune de ces informations, mais cette dame clamait ses slogans plus de la façon d'une comédienne que d'une mère meurtrie, et m'a menacée de poursuite judiciaire lorsque j'ai filmé sa prestation.

À la fin de la manifestation, ce groupe a délogé de façon agressive les militants féministes, pour brandir des photos de martyrs de la révolution et clamer leur rejet du parti Nida Tounes qui appelle au rassemblement, y compris avec les anciens partisans de Ben Ali. Selon certains membres de la société civile de notre rassemblement, ces personnes auraient été payées par Ennahda pour disperser le rassemblement féministe. Je n’ai vérifié aucune de ces informations, mais je dois admettre que le ton avec lequel cette dame clamait ces slogans la rapprochait plus de la comédienne que de la militante. Elle m’a par la suite menacée de poursuite judiciaire lorsque j’ai filmé sa prestation.

Pour plus d’information : L’article 23 de la loi électorale et ses propositions d’amendements chez Al Bawsala
Le Huffpost Maghreb sur la vulnérabilité de l’inscription de la parité dans la loi électorale et sur le rassemblement d’hier matin

Suzanne

La Tunisie : entre la démocratisation et l’islamisation de la politique ?

La Tunisie : entre la démocratisation et l'islamisation de la politique ?

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Une des grandes questions qu’on se pose aujourd’hui sur l’avenir de la Tunisie concerne le rôle d’un parti confessionnel islamiste qui, en coalition avec deux partis laïques, domine largement la scène politique nationale tunisienne depuis 2011. Les protestations, les émeutes et les concentrations populaires médiatisées dans le monde entier qui ont débuté en décembre 2010 et qu’ont continué depuis cette époque à rassembler le peuple tunisien dans les rues avaient une consigne assez claire : ils voulaient de la liberté, ils voulaient du travail, ils voulaient de la dignité. Ils ont renversé un régime autoritaire et ont exigé à la classe politique tunisienne d’instaurer une démocratie. A priori, il semblerait que la religion n’a pas joué un rôle important dans la révolution tunisienne.

Un des acquis les plus importants de cette révolution fut la mise en place des élections « libres et transparentes ». Pourtant, les élections qui ont eu lieu en octobre 2011 pour créer une Assemblée nationale constituante chargée de rédiger la nouvelle constitution politique tunisienne ont donné une victoire au parti Ennahda, un parti islamiste qui se réclame de l’islam politique mais qu’adhère, au moins dans son discours, aux idéaux de liberté et démocratie et aux acquis modernes de la Tunisie. À partir de ce moment, le principe de la laïcité sur laquelle s’est construit l’État tunisien risque d’être remise en question. Le départ de Ben Ali suite à la révolution, et la dissolution de son parti RCD, ont laissé un vide politique. Les islamistes ont tenté de combler ce vide, au profit de l’islamisation de la politique tunisienne. Ayant suivi une forte répression de la part de l’État dans le passé, la révolution tunisienne semble ouvrir les portes de l’État aux islamistes. Depuis ce moment, la Tunisie se trouve dans un débat constant sur son avenir : démocratisation ou islamisation ?

Le premier article de la constitution approuvée en 2014, par exemple, reste le même que dans l’ancienne constitution : « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime ». Mais il y a un grand débat sur l’interprétation de cet article. Est l’Islam la religion de la Tunisie ? Ou bien, est-elle la religion d’État ? Cette nuance, pour simple qu’elle puise paraître, peut avoir des conséquences fondamentales pour l’avenir de la Tunisie. Une interprétation implique un lien historique entre la population tunisienne et l’islam, tout en respectant les principes de la liberté de culte, de conscience et le principe de la séparation entre l’État et la religion. L’autre, plus proche des principes de l’islam politique, constitue la base sur laquelle construire une société théocrate où l’islam occupe une place privilégie dans la vie politique, voire une congruence totale entre la politique et la religion.

Comme le disait Yadh Ben Achour, Président de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution en 2011, la révolution tunisienne de 2011 n’a pas porté le même message que les élections de fin 2011 : « nous pouvons affirmer que la confrontation auquel (sic) nous assistons aujourd’hui (…) oppose en vérité, mais également associe, ces deux émanations du peuple tunisien : celle de la révolution et celle des élections. On peut le constater à travers l’ensemble des conduites, débats d’idées et polémiques qui agitent, en ce mois de novembre 2011, l’opinion publique » (1). Démocratisation ou islamisation, celui-ci semble être un débat qui traverse la vie politique tunisienne. Un débat qui va peser dans l’avenir proche de la société et la politique tunisiennes.

Samuel

Le problème de la loi électorale

À l’heure où j’écris ces lignes, l’Assemblée Nationale Constituante de Tunisie est en train de procéder à la deuxième journée de débat général sur le projet de loi électorale en vue de l’organisation des élections de l’assemblée des représentants du peuple d’ici la fin de l’année. Et il semblerait qu’établir le cadre législatif pour les deuxièmes élections libres de l’histoire du pays, ce soit complexe.

Les élections de l’ANC en 2011 avaient été saluées par la communauté internationale comme étant libres et honnêtes. Il y eut des débats avant et après l’adoption de la loi, et avant et après les élections. Le résultat des élections qui offrirent une large majorité au parti islamiste Ennahda en déçurent certains, qui accusèrent un mode de scrutin non approprié et une loi électorale imparfaite.  Et puisque c’est cette loi électorale de 2011 qui a servi de modèle pour la nouvelle loi électorale, les débats qui avaient eu lieu à l’époque se répètent, cette fois-ci dans le cadre d’une assemblée démocratiquement élue. À ceux-ci s’ajoutent également de nouvelles préoccupations.

Les mêmes débats se répètent. À l’heure actuelle, les points de la loi électorale qui font couler le plus d’encre sont l’article 15 qui prévoit l’impossibilité pour les anciens membres du RCD – l’ancien parti de Ben Ali – de se présenter en tant que candidat à des élections, et également l’article qui prévoit que les personnes analphabètes puissent être accompagnée par la personne de leur choix dans l’isoloir afin de les assister dans la procédure de vote.

Ces deux dispositions avaient déjà été proposées dans la loi électorale de 2011. L’exclusion des membres du RCD, contenue déjà à l’époque dans l’article 15 de la loi électorale, avait fini par être approuvée. Sa forme finale prévoyait que l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (ISIE) constitue une liste d’inéligibles qui comprenne les anciens membres du gouvernement de Ben Ali qui avaient également eu des responsabilités au sein du parti présidentiel. On retrouve cette formule dans les propositions pour la nouvelle loi. L’accompagnement des analphabètes quant à lui avait été abandonné, suivant l’idée qu’un tel accompagnement représentait un bien trop grand risque d’achats de votes. La procédure rendrait en effet ridiculement aisé le fait de prouver que l’on vote bien pour le parti qui nous paye, s’il trouve le moyen de nous accompagner jusque dans l’isoloir. Et pour citer un membre d’une association tunisienne d’observation des élections : “Si l’accompagnement des analphabètes reste dans la loi électorale, au lendemain de la proclamation de cette loi on pourra proclamer le vainqueur des élections, Ennahda”. Je ne sais pas si ces soupçons accusateurs sont justifiés, mais on peut reconnaître que les députés Ennahda défendent en effet cette proposition. Notons par ailleurs que l’accompagnement des analphabètes constituait une des recommandations de l’Union Européenne à l’issue de sa mission d’observation en 2011. Reste à savoir si cette contradiction entre l’avis de la société civile tunisienne et celui de l’Europe vient d’un éloignement de la réalité tunisienne de cette dernière, ou d’une paranoïa exagérée de la part des premiers.

Si ces deux questions occupent la majeure partie des débats, d’autres aspect de la nouvelle loi électorale tunisienne posent problème à beaucoup d’acteurs de la vie politique du pays. Face à la prolifération des listes lors des élections de 2011 qui avait largement favorisé les grands partis déjà instaurés, une autre question au programme du débat est la proposition de parrainage obligatoire de chaque liste par des électeurs de la circonscription ou bien des députés de l’ANC. Parmi les critiques, certaines voix considèrent qu’avec les chiffres actuels en termes de signatures nécessaires, le parrainage est une mesure destinée à garantir que seul Ennahda puisse présenter des listes aux prochaines élections législatives.

Se pose aussi la question du financement des partis politique, les financements privés ayant été interdits lors des précédentes élections, auxquels l’État a préféré les financements publics systématiques. Si cette solution fait la part belle à l’égalité, elle a été entachée par des retards de paiement, en plus d’avoir coûté une fortune à l’État.

Il s’agit là d’un résumé non exhaustif des différends qui ont pu survenir lors des débats autour de la loi électorale. Fruits de ces désaccords, non loin de 500 propositions d’amendements ont été déposées par les députés, et les examiner un par un est la tâche qui incombe désormais à l’ANC. Entre temps doit être adoptée la loi prévoyant les modalités du contrôle de constitutionnalité, qui doit être privilégiée à la loi électorale afin que sa constitutionnalité puisse être contrôlée de façon régulière. Avec l’ampleur de la tâche qui reste à accomplir, il est craint que cela prenne un temps considérable, or le calendrier électoral extensible est encore un des points de désaccords. Certains craignent que la lenteur du processus donne lieu à des élections mal préparées, et surtout que l’on soit dans l’obligation d’organiser des présidentielles et des législatives conjointes, ce qu’une partie du paysage politique ne souhaite pas. On est en tout cas bien loin de la limite de septembre 2014 pour les élections présidentielles promise par le Président de la République Moncef Marzouki en février dernier.

Et c’est là que les vrais ennuis commencent. Car avec la lenteur du processus qui s’annonce, et surtout s’il est souhaité ne pas organiser conjointement les élections législatives et présidentielles, alors les élections pourraient bien être repoussées jusqu’à 2015. Sauf que non, elles ne pourraient pas : l’article 148 de la constitution du 26 janvier 2014 stipule que la date des élections ne peut pas dépasser 2014, et des élections organisées en 2015 seraient donc anticonstitutionnelles.

Il revient maintenant à l’ANC de trouver une solution pour ces élections qui permettra d’éviter un énième blocage politique depuis le début de la transition démocratique tunisienne.

Pour plus d’informations :

La page dédiée à la loi électorale sur le site de l’ONG Al Bawsala

Les articles du Huffington Post Maghreb qui suivent l’avancement de la loi électorale

 Suzanne

C’était mieux avant

Le suicide de Mohamed Bouazizi à la fin de l’année 2010 en Tunisie a changé à jamais la face de la vie politique tunisienne. Mais les changements ne s’arrêtent pas à là, car on ne met pas fin à une dictature vielle de 50 ans sans causer quelques bouleversements. Forcément, l’État est policier et contrôle tout, alors quand l’État tombe, on risque de perdre le contrôle.

Enfin c’est un peu ce qui transparaît des discours des gens ici en Tunisie, trois ans après la révolution. Il faut dire que la circulation routière est sans queue ni tête depuis le départ de Ben Ali, et je considère comme un miracle chaque jour où je ne me fais pas renverser par un bus. Les rues n’ont pas vraiment fière allure, avec les ordures qui occupent les trottoirs tous les deux pâtés de maison. Et tous les trois pâtés de maison, c’est les fondations d’un immeuble ou d’une maison qui nous rappellent que beaucoup de choses qui ont été commencées avant 2011 ont été interrompues et jamais reprises. Un des exemples les plus flagrants est peut-être l’imposante cité de la culture qui longe l’Avenue Mohamed V, à moitié impressionnante par sa taille et son architecture, et à moitié désolante lorsqu’on constate qu’elle est en majeure partie constitué de béton nu et inachevé.

C’était mieux avant aussi pour les femmes. Ben Ali faisait des droits des femmes en Tunisie la vitrine de son pays, et les islamistes avaient peur de la répression et de s’exprimer librement. Du coup après la révolution, les filles se sont voilées, les garçons se sont décomplexés, et les femmes ont recommencé à avoir peur de sortir seules la nuit.

Est-ce que c’était mieux avant quand la liberté d’expression était bridée, et qu’on risquait la prison et la torture quand on parlait trop fort ? Les étudiants avaient peur d’être sous écoute, peur de rire un peu trop fort quand le professeur de droit abordait le chapitre de la constitution dédié à la garantie de la liberté d’expression. Pour la société civile c’était plus facile de définir la ligne politique, dictée par le gouvernement, sinon quoi on est interdits, infiltrés ou réprimés. Est-ce que c’était mieux pour les régions rurales, où le chômage a atteint des taux inédits, et dont la voix était étouffée dans une ultracentralisation des institutions étatiques ?

La transition ne s’est pas faite en un jour.

Suzanne